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25 octobre 2010 1 25 /10 /octobre /2010 15:50

 

Récemment vu sur le site de la RTBF, une grande révolution en Turquie: désormais, il est possible pour une jeune fille d'assister aux cours universitaires voilée, chose qui était interdite depuis 12 ans. En apparence anodin, cet événement est le dernier d'une longue série qui ne peut qu'éveiller mon attention et susciter chez moi une interrogation: la laïcité et la démocratie sont-elles toujours d'actualité en Turquie?

 

Jusqu'à présent, la Turquie faisait figure de championne de la modernité parmi les nombreux pays à majorité musulmane, sans doute l'un de ceux permettant le plus de liberté et affirmant avec la plus forte conviction son caractère laïc, autrement dit une séparation nette entre religion et affaires publiques. Il s'agit de plus d'un régime parlementaire, avec des élections régulières permettant l'alternance entre majorité et opposition, et dans l'ensemble une relative liberté de pensée et d'expression, du moins si l'on compare la situation avec ce qu'il en est dans la plupart des pays du Maghreb, du Proche et du Moyen Orient. Bref, globalement, on peut parler à son égard de démocratie laïque.

 

Cependant, il y a plusieurs ombres au tableau, et non des moindre. Qui plus est, il est fâcheux de voir ces ombres se multiplier ces derniers temps. Il semblerait qu'il y ait une nette radicalisation, tant au niveau politique qu'au niveau religieux. Voyons donc ce qu'il en est.

 

D'une part, et on le sait depuis un bout de temps, la liberté d'expression est assez relative. J'ai bien dit qu'elle était « à comparer avec ce qui se fait ailleurs ». On le sait, les médias le rappelant assez souvent, il est des sujets qui fâchent en Turquie. Des sujets tabous, dont la population elle-même n'a qu'une image déformée par des années de propagande. Le meilleur exemple est bien entendu le génocide arménien et sa reconnaissance. Je compte prochainement aborder le sujet des génocides dans un article à part, car c'est un thème important, souvent méconnu, et un vocable sous lequel on a tendance à réunir tout et n'importe quoi. Pour faire bref, un génocide vise à la suppression physique totale et organisée d'un groupe d'individu définit selon des critères ethniques, raciaux ou religieux. On avait tenté à une époque de rajouter le critère « classe sociale » dans la liste, mais l'URSS y avait apposé son véto, et on comprend vite pourquoi en sachant que dès lors, divers régimes d'extrême gauche auraient été accusés des pires génocides que le monde ait connu, renvoyant le nazisme à l'échelon de modeste amateur. En regard à cette définition, se dégagent divers points importants dans la qualification de génocide. Premièrement, il y a l'extermination posée comme but recherché, et non comme conséquence. Par exemple, l'esclavage des noirs n'est pas un génocide, car le but n'était pas d'exterminer la « race » noire, mais bien de l'exploiter. Deuxièmement, il y a une notion d'échelle et d'organisation: le groupe visé est assurément grand, et il ne suffit pas d'avoir la volonté de le détruire pour y parvenir. En pratique, les rares cas de génocides avérés et reconnus ont souvent nécessités des moyens colossaux pour être mis en œuvre. La Shoah a ainsi pesé lourd sur l'industrie allemande. En posant ces quelques conditions, on constate que le génocide arménien répond bien à cette qualification: le but était clairement de déporter et d'exterminer les Arméniens, accusés de tous les maux (mais aussi les Grecs du Pont, Assyriens et d'autres minorités) pour effectuer une purification ethnique, laquelle se déroulait à grande échelle. Pour avoir une idée: entre un million et un million et demi d'Arméniens, 350 000 Grecs et 500 000 Assyriens furent massacrés. Soit deux millions de morts en tout.

 

Or, cette réalité est niée. Non seulement le gouvernement turc favorise le négationnisme, mais il va même plus loin en sanctionnant tout auteur d'une autre version, qu'il soit Turc ou étranger. La négation est tellement forte, qui si vous interrogez au hasard un turc dans la rue à Constantinople, celui-ci vous répondra à tous les coups par la négative concernant le génocide arménien. Le contrôle des idées à ce sujet est extrêmement bien fait, et laisse peu de marge de manœuvre pour établir la vérité. Le meilleur de tout, c'est que dans l'immédiat après guerre, la réalité de ce génocide n'était pas niée en Turquie. Les responsables en ont même été jugés et punis, la plupart étant condamnés à mort et exécutés. Puis, sous l'impulsion d'un nationalisme ressurgissant, le sujet a peu à peu été éclipsé, pour finalement être banni et devenir tabou. Et ce alors même que pendant ce temps, en Europe, il devenait de bon ton et politiquement correcte de s'excuser pour « les torts causés au monde [des anciennes colonies] ». Et ça va même loin: le fameux article 305 du code pénal turc, sanctionnant tout ce qui « porte atteinte à la nation » permet de condamner un éventuel contestataire de la version officielle à une peine allant jusque 15 ans de prison. Et bien entendu, le gouvernement turc exerce des pressions diplomatiques plus ou moins fortes à l'encontre des instances étrangères ayant reconnu le génocide.

 

Il ne fait pas bon être gay en Turquie. Difficile de distinguer le vrai du faux précisément, mais il ne fait aucun doute (de nombreux témoignages sont là pour le prouver) que l'homophobie est bien présente là-bas. Ainsi, selon l'organisation de défense des homosexuels en Turquie, ce sont 45 personnes qui auraient été assassinés pour leur orientation sexuelle, de nombreux autres discriminés, victimes de violences policières ou d'agressions diverses. Inutile de nier: la ministre turque de la Famille et de la Femme, Aliye Selma Kavaf, a elle-même déclaré il y quelques mois que « L'homosexualité est un désordre biologique, une maladie, (...) une chose qui doit être soignée ». Certes, la Turquie n'a pas le monopole de ce genre de propos, mais la situation n'en est pas moins grave, et ce d'autant plus que les meurtres seraient en recrudescence. Si la Turquie ne condamne pas officiellement l'homosexualité, elle ne condamne pas non plus l'homophobie, le code pénal turc n'y faisant à aucun moment mention.

 

Voilà donc divers points venant bousculer l'image d'une Turquie moderne et ouverte à la liberté d'expression. On voit que c'est tout relatif. Qu'en est-il maintenant de la laïcité? Là encore, la situation n'est pas aussi belle qu'espérée, divers éléments venant remettre en question cette vision idyllique que l'on a traditionnellement chez nous.

 

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