Jusqu'à présent, en Belgique, les deux premiers cycles des études de médecine s'étalaient sur 7 ans. Cependant, depuis l'année dernière, le ministre de l'enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles Jean-Claude Marcourt prépare un projet de réforme de ces études, pour les réduire d'une année.
Officiellement, les objectifs sont doubles: d'une part s'aligner sur les autres pays européens, d'autre part « favoriser l'accompagnement des étudiants durant leur première année et mettre fin à l'élitisme pratiqué dans certaines universités ».
Pour se faire, une partie des cours actuellement donnés en quatrième année (première master) seraient abaissés sur la troisième année (troisième bac, anciennement troisième « candi »), tandis que les cours actuellement donnés sur l'ensemble de la première année seraient comprimés sur un seul quadrimestre. Il va de soit que la charge de travail pour les étudiants concernés augmenterait: actuellement, ceux-ci ont une session d'examen dispensatoires en janvier qu'ils peuvent en cas d'échec repasser en juin, avant, en cas de nouvel échec, de passer en deuxième session au mois d'août. Malgré ces chances successives, rappelons que le taux de réussite en première est de l'ordre de 25%, tant ces études sont dures et éprouvantes.
Comme il est impossible de faire passer un nombre d'heure d'une année sur quatre mois à peine, le ministre entend exiger une liste de pré-requis pour éviter de revoir les bases élémentaires en chimie, biologie, physique et mathématique, ce qui revient à fermer l'accès à ces études aux étudiants n'ayant pas suivi un programme de sciences fortes en secondaire. Pour s'assurer de la possession des connaissances requises, le ministre entend mettre en place un test à l'entrée, obligatoire mais non contraignant (du moins pour l'année académique 2012-2013). De plus, les étudiants qui à l'issu de la session de janvier obtiendraient une moyenne inférieure à 40% se verraient refuser l'accès à la suite du cursus et seraient réorientés en cours d'année vers un autre cursus ou verraient leur première année étalée sur deux ans... à leurs frais.
Rappelons qu'actuellement plus de la moitié des étudiants ont moins de 8/20 en janvier (chiffre qui augmenterait fortement, vu que les cours vus actuellement sur l'ensemble de la première année seraient vus en quatre mois, soit une augmentation de difficulté conséquente). Rappelons également que 20% des étudiants qui réussissent en juin, c'est-à-dire à leur deuxième chance, sont des gens qui ont ratés en janvier et suite à cet échec se sont remis en question et ont corrigé le tir en modifiant leur méthode. Enfin, rappelons qu'il y a une pénurie de médecin suite au vieillissement de la population (y compris les praticiens dont la moyenne d'âge dépasse les 50 ans) mais aussi et surtout suite aux quotas fédéraux, que ce soit au début des études (le fameux numérus clausus, actuellement suspendu, et qui limite le nombre d'étudiants pouvant accéder à leur deuxième année) ou à la fin lorsqu'il s'agit d'attribuer aux étudiants ayant terminé leurs études un numéro INAMI, lequel est une condition sine qua non pour pouvoir exercer.
Pour l'anecdote, certains étudiants ayant suivi un cursus littéraire dans leurs études secondaires ont aujourd'hui de meilleurs résultats que moi qui suis passé par une filière de sciences fortes. Avec un filtre à l'entrée, de tels étudiants pour le moins brillants seraient condamnés à se tourner vers d'autres études. Par ailleurs j'ai personnellement lamentablement échoué lors de ma première année. Mes résultats dépassent aujourd'hui les 80%, grâce à des changements dans ma méthode de travail. Inutile de dire qu'une réforme des études telle que ce qui est prévu par le ministre ne m'aurait à l'époque laissé aucune chance.
La levée de bouclier contre cette réforme est générale, que ce soit de la part des étudiants concernés ou du personnel académique. Tous s'attendent à une catastrophe à venir, et les réactions sont nombreuses, y compris d'ailleurs de la part de certains politiques, dont les Jeunesses Socialistes (pour mémoire, Marcourt est du Parti Socialiste et est donc désavoué au sein de son propre clan). Je reproduis ici un projet de réaction des étudiants de Mons, dont je suis l'auteur, et qui reprend les principaux arguments contre cette réforme. Je précise bien qu'il s'agit d'un projet de communiqué, qui n'a aucun caractère officiel à l'heure actuelle et n'engage que moi. Cependant, il a le mérite de synthétiser les différents arguments contre la réforme, c'est pourquoi je le reproduis ici.
« En tant que représentants des étudiants de l'Université de Mons, nous prenons acte de la volonté du ministre Marcourt de réformer les études de médecine et en particulier le passage de 7 années en 6 ans du cursus général suivis par les étudiants de cette filière.
Cependant, nous ne pouvons qu'émettre certaines réserves à cet égard.
Tout d'abord, nous nous interrogeons sur la nécessité d'une telle réforme et sur ses objectifs affichés. Si la volonté d'un alignement par rapport à ce qui se fait ailleurs en Europe nous paraît légitime, nous imaginons mal comment ces changements pourraient déboucher sur une diminution du taux d'échec en première année. Au contraire, les faits d'instaurer des pré-requis à l'entrée et de compresser les programmes vus actuellement au cours des deux premières années nous paraît être un obstacle supplémentaire à la réussite. Force est de constater que cette crainte est par ailleurs partagée par tous les acteurs de ce secteur, étudiants comme enseignants.
De plus, la mise en place de pré-requis nous paraît incompatible avec la situation socio-économique actuellement observée en Belgique francophone. D'une part cela reviendrait à interdire l'accès aux élèves n'ayant pas suivit de programme de sciences fortes au cours de leur cursus secondaire. D'autre part, et connaissant les difficultés rencontrées dans l'enseignement secondaire, il nous paraît clair que de futurs étudiants n'ayant pas bénéficié d'un enseignement de qualité se verront défavorisés lors de l'accès aux études de médecine, et ce indépendamment de leurs capacités réelles. Enfin, au regard de la pénurie actuelle de médecins, spécialisés ou non, il nous paraît inadéquat de faire passer des mesures qui auront pour conséquences inévitable une baisse du nombre d'étudiants en médecine, et à fortiori du nombre de praticiens dans les années futures.
Concernant cette fois le test d'entrée obligatoire non contraignant, nous ne pouvons qu'exprimer notre inquiétude quant à la possibilité qu'il puisse devenir à terme contraignant. Nous tenons à souligner le fait qu'il nous paraît difficile d'évaluer objectivement les capacités d'un étudiant à réussir des études de médecine sur base de ses acquis du secondaire. À la différence de ce qui se fait en faculté Polytechnique, de tels tests évalueraient plus les connaissances générales des étudiants, évidemment perfectibles, que leur compétences acquises. Or, ce niveau de connaissances est malheureusement bien souvent corrélé avec l'origine sociale de l'étudiant, et de ce point de vue une telle mesure serait donc totalement injuste. De plus, l'organisation envisagée par le ministre de cours préparatoires ne tient pas compte des élèves de rhétorique qui auraient une deuxième session pour achever leur parcours secondaire, et seraient donc dans l'incapacité d'assister à ces remédiations. De même, la mise en place de ces dernières représente une charge supplémentaire pour les universités et les moyens débloqués pour y faire face sont à l'heure actuelle inconnus.
Nos inquiétudes concernent également les décisions prises par les jurys à l'issue de la session de janvier, décisions qui peuvent aller jusqu'à une réorientation des étudiants vers d'autres filières en cas d'échec grave. De telles décisions seront lourdes de conséquences pour le futur de l'étudiant, qui devrait de plus entamer en cours d'année un autre cursus, ce qui paraît difficilement réalisable. Quant à la possibilité d'étalement de la première année sur deux ans, si elle n'entraîne pas de frais de réinscription aussi élevé qu'un redoublement, elle ne dispense cependant pas de devoir s'acquitter de frais de logement ou de transport, lesquels pèsent très lourd sur le budget des étudiants. Il nous faut également noter que près de 20% des étudiants réussissant leur année ont été en situation d'échec en janvier. Une décision telle que la réorientation à ce stade condamnerait ainsi de nombreux étudiants qui sans elle aurait potentiellement pu se remettre en question, adapter leurs méthodes et leur niveau de connaissances et finalement réussir malgré ce mauvais départ.
Enfin, nous nous interrogeons sur la compatibilité d'une réorientation forcée de l'étudiant en échec avec le décret dit de Bologne, lequel lui assure normalement de disposer de plusieurs tentatives pour corriger cet échec.
Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, nous estimons de notre devoir, et en vue de défendre les intérêts des étudiants concernés, de prendre position contre ce décret et de déplorer son éventuelle mise en œuvre future sous cette forme. »